Nouveau Dictionnaire de biographies roussillonnaises (1789-2017). Volume 3 : sciences de la vie et de la terre, de Jean-Jacques Amigo, Perpignan, les Publications de l’Olivier, 2017, 703 p.
Préfacé par Claude Combes, l’un des derniers porte-paroles de la science zoologique au sein de l’Académie des sciences, ce remarquable et volumineux ouvrage s’inscrit dans la continuité des grands dictionnaires de naturalistes parus depuis environ un quart de siècle et auxquels nous nous référons fréquemment. Il est consacré selon son titre aux naturalistes du Roussillon, pas uniquement à ceux qui en sont issus, mais aussi à l’ensemble des chercheurs, français et étrangers, qui ont consacré leur carrière ou du moins une partie de celle-ci, à la réalisation de travaux scientifiques concernant cette région. Ce sont le choix de l’aire géographique concernée et celui de détailler longuement et tout particulièrement leurs recherches et leurs résultats scientifiques au niveau régional qui ont prévalu dans la conception de l’ouvrage et qui en font l’originalité.
Par son importance et la richesse des informations qu’il apporte, il rejoint les dictionnaires et ouvrages biographiques incontournables de Lucile Allorge (La Fabuleuse odyssée des plantes, les botanistes voyageurs, les herbiers, 2003), Yves Cambefort (Des Coléoptères, des cétoines et des hommes, 2006), André Charpin et Gérard Aymonin (Botanistes de le flore de France, 2015), Benoït Deyrat (Les Botanistes de la flore de France, trois siècles de découvertes, 2003), Jean Goulliard (Histoire des entomologistes français 1750-1950, 2004), Philippe Jausseaud & Eduard-Paul Brygoo (Du Jardin au Muséum en 516 biographies, 2004), Yvonne Letouzey (Le Jardin des Plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1989), Hélène Saule-Soubé & Gérard Largier (Les Botanistes de la flore pyrénéenne, 2003-2010) ou Jean Lhoste (Les Entomologistes français, 1987). Ou plus modestement, puisque les notices sont plus courtes et ne représentent qu’une partie du contenu de ces ouvrages, Jean-Claude Aniotsbehere (Flore de Gironde, 2014) ou Jean-Loup d’Hondt (Vade-mecum du jeune zoologiste, 2000). Leur équivalent en paléontologie est Des paléontologues de A à Z de Mireille Gayet et Jean-Claude Babin, 2007.
L’ouvrage de Jean-Jacques Amigo, outre les 506 notices biographiques énumérées au long de 720 pages, comprend un répertoire des sites prospectés à l’occasion des recherches correspondantes (45 pages), un glossaire de 11 pages (avec quelques lacunes ou définitions par trop sommaires par rapport à d’autres, comme celles concernant les Chrysomelidae, les Bryozoaires ou les Mollusques – alors que les Brachiopodes sont beaucoup mieux traités), et une précieuse liste de références bibliographiques de 84 pages qui constitue aussi l’un des apports majeurs et l’un des centres d’intérêt privilégiés de ce livre, même si elle est parfois incomplète (le Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord n’a pas été dépouillé alors que nombre des auteurs récapitulés sont liés à la Dordogne ; de même, les volumes récapitulatifs des Congrès du Comité des travaux historiques et scientifiques n’ont été que partiellement inventoriés (exemple de Louis Calvet !). Quelques notices nous ont en revanche apporté la toute relative satisfaction de constater que leurs auteurs n’avaient pas pu approfondir davantage que nous ne l’avions fait leurs recherches sur une personnalité donnée (cas de Brölemann) ; mais par ailleurs la notice dévolue à l’abbé Louis Rullier, que beaucoup de zoologistes actuels ont connu, laisse le lecteur sur sa faim.
Une telle base documentaire répond au souhait de tout historien des sciences de même qu’à celui de tout chercheur ou même simplement curieux, de se documenter sur les personnalités qui ont œuvré dans une région donnée, le Roussillon (voire au-delà !), cette régionalisation correspondant à l’une des originalités de l’ouvrage. Une autre de celles-ci réside dans la décision de ne pas omettre des auteurs étrangers qui ont été intéressés par la biodiversité régionale de l’aire géographique concernée ; il est inhabituel, et nous avons apprécié, de trouver ici des biographies d’Ernst Jünger, Adolf Remane, Jan Stock, Serge Frechkop, Milhai Bacescu, Rupert Riedl, Sandro Ruffo, Michel de Sélys-Longchamps qui fut probablement le doyen d’âge des participants au congrès international de zoologie de Paris en 1889 ; ou de la figure mythique de Radu Codreanu qui, avec son épouse, était devenu un familier tant des laboratoires français de la capitale que des stations françaises de biologie marine. La troisième originalité est, rappelons-le, le développement consacré pour chacun des auteurs cités à ses apports sur la connaissance du milieu et de la biodiversité abordée au niveau régional. La succession des personnalités dans une même école de pensée et leurs interférences respectives ressortent parfois judicieusement de la lecture de certaines notices.
Sans doute pourrait-on reprocher à l’auteur des présentes lignes de faire preuve d’une certaine subjectivité dans le choix des biologistes qui ont plus spécialement retenu son attention. En fait, il faut plutôt y voir la reconnaissance de l’hommage qu’il est heureux de voir rendu à certains de ses maîtres, ou à des collègues qui ont contribué à forger sa propre personnalité morale et scientifique. Nous avons été sensible au fait que les auteurs aient fait œuvre de mémoire en faisant revivre le souvenir concret de nombreux chercheurs, souvent des compagnons de route, dont la présence dans cet ouvrage constitue une mise en exergue, et qui pour certains d’entre eux les empêchera de sombrer dans l’oubli. Nous avons eu personnellement le plaisir de côtoyer André Auverlot, Michel Bhaud - ancien camarade de stages estudiantins -, Jean Bourgogne qui arrivait le matin à son laboratoire en grandes enjambées et ceci jusqu’à un âge avancé, Guy Colas assis derrière son bureau et accueillant ses amis avec un large sourire, Claude Delamare Deboutteville à la conversation toujours intéressante et que nous rencontrions fréquemment dans les allées du Jardin des Plantes, Louis Euzet, Alain Guille avec qui nous partagions le même bureau, Paul et Suzanne Jovet toujours amicaux et férus d’anecdotes, Lucien Laubier, Clément Legros, Claude Monniot dont le bureau s’ouvrait dans le même couloir que le nôtre, Marcel Prenant profitant des derniers rayons de soleil sur un banc de la vieille ville de Roscoff, Gaston Ruter ou Marie-Charlotte Saint-Girons. Nous sommes plus spécialement heureux de voir évoquer ici la mémoire de certains aînés, devenus avec le temps de véritables amis en dépit d’une différence d’âge de parfois près de trois générations (comme avec E. C.), qui ont eu sur nous une profonde influence aux différentes étapes de notre carrière : Jacques Baraud, Geneviève Bobin, Ernest Cavro, Bruno Condé, Roger L’Hoste – notre ancien et regretté professeur de lycée dont l’enthousiasme communicatif légitima notre vocation de zoologiste -, Gaston Tempère, Jean Théodoridès ou Max Vachon. Ceci sans oublier Pierre Drach et ses brillantes allocutions lorsqu’il présidait les banquets des congrès annuels de la Société zoologique de France.
La longueur de la présente analyse témoigne de l’intérêt et du plaisir éprouvés par l’auteur de celle-ci à la lecture de cet ouvrage essentiel qu’est ce recueil de biographies roussillonnaises, et qu’il espère voir partagés fructueusement par d’autres lectorats.
Jean-Loup d'Hondt
Pour en savoir plus : la page de présentation du livre sur le site de l'éditeur