Jean Génermont, Une histoire naturelle de la sexualité. Plus d’un milliard d’années d’évolution, Éditions Matériologiques, déc. 2014 >> découvrir le livre papier ou électronique sur le site de l'éditeur
Il fallait l’immense érudition de Jean Génermont et sa capacité de travail pour mettre en chantier une telle histoire. Pour écrire une histoire, il faut être sûr d’avoir tout vu, tout lu, d’avoir embrassé la totalité des connaissances et de leur évolution ; dans le domaine des reproductions sexuée et asexuée des uni et pluricellulaires, Jean Génermont a acquis cette culture encyclopédique au cours de son enseignement universitaire et de ses travaux de recherche sur la génétique et l’évolution des Ciliés.
Mais son livre n’est pas une compilation de tous ses acquis ; c’est une mise en ordre des connaissances sur l’apparition et l’évolution de la reproduction sexuée depuis un milliard et demi d’années. C’est une synthèse magistrale, d’une concision remarquable (366 pages seulement), où l’exemple cité est choisi parce qu’essentiel dans le raisonnement, lequel maintient en continu l’intérêt du lecteur. L'auteur définit lui-même son livre, dans son prologue : « cet ouvrage est conçu comme une progression logique continue dont l’évolution est le fil conducteur, dans une perspective résolument darwinienne. Les notions auxquelles il fait appel couvrent un large champ disciplinaire [...] Pour en faciliter l’approche à des lecteurs peu familiers des concepts de base de la biologie, j’ai donné en introduction un résumé de ceux dont la connaissance m’a semblé indispensable ». Quant aux lecteurs biologistes, ils seront ravis de trouver un fil conducteur dans le fatras des exemples de cycles de vie haplonte-diplonte qu’ils ont dû apprendre. En effet l’auteur explique sa clarification : « Ma démarche logique est illustrée par de nombreux faits observationnels ou expérimentaux. Devant l’abondance des données disponibles, j’ai dû me limiter à certains exemples … » judicieusement choisis parmi les êtres qui nous sont familiers.
L’auteur explique également lui‐même la structure de son ouvrage, « réponse à quelques questions clés » dit-il. Le chapitre 1 examine ce qu’est au juste la sexualité et ce qui lui ressemblerait dans la biologie des micro-organismes. Le chapitre 2 montre que si la sexualité ne peut exister que dans une seule des 3 grandes lignées d’êtres vivants, celle des eucaryotes, elle y est omniprésente et leur confère une robustesse acquise après la fécondation. Une autre constante de la sexualité, mise en évidence au chapitre 3 est sa fonction de « brassage génétique ». Le chapitre 4 aborde l’histoire évolutive de la sexualité et en premier lieu son origine, « avec la construction d’un scénario en plusieurs étapes, débouchant in fine sur un foudroyant « succès évolutif » des organismes unicellulaires sexués. » Parmi ceux-‐ci, plusieurs lignées évolutives conduiront à la transition vers l’état pluricellulaire. Le chapitre 5 montre des exemples de modalités de ces transitions qui révèlent une conséquence essentielle : la sexualité acquiert son rôle dans la reproduction. Il traite également de l’émergence de la pluricellularité. Au chapitre 6, est abordée l’origine de la différenciation de deux sexes dans une espèce, qui n’est, dit l’auteur, « qu’un cas particulier du phénomène très général d’incompatibilité sexuelle » ; il propose un scenario portant sur des organismes de la « lignée verte » dont plus particulièrement les plantes terrestres. Les mêmes questions sont traitées pour la lignée animale au chapitre 7. Le chapitre 8 examine des cas de « dégradation » de la reproduction sexuée sans participation du mâle comme dans la parthénogénèse. Au chapitre 9, sont étudiés des mécanismes de brassage génétique indépendants de la sexualité et qui ne sont pas limités seulement aux eucaryotes. « Leur analyse apporte des éléments de compréhension sur l’émergence de l’état eucaryote et des fondations sur lesquelles a pu s’édifier la sexualité. » Le chapitre 10 est une synthèse de l’histoire de la sexualité (64 pages) ; il se lit comme un roman ; on pourrait même recommander au lecteur un peu pressé de commencer par lui. Il trouvera alors le temps de remonter facilement vers les débuts, étape par étape, car jean Génermont a pris le soin de noter pour chaque argument, le paragraphe et la page où le lecteur trouvera l’explication précise traitée précédemment.
Le style de ce livre est un vrai bonheur : clair sans recourir à une simplification castratrice, attrayant pour tenir en éveil la curiosité du lecteur. Comment résister, par exemple, à la lecture du paragraphe qui s’intitule : Les animaux, nés de parents inconnus ? p.132 ou bien celui-‐ci p. 289 « comment se nourrir de sève ? encore une histoire de pucerons ! » D’autre part cet ouvrage n’est pas un traité neutre : il est totalement personnalisé ; Jean nous parle directement à la première personne grammaticalement ; il nous donne son choix, son opinion, son scénario explicatif sur la naissance de la sexualité (chapitre 4) avec « mon scénario d’émergence d’une incompatibilité sexuelle » p.152. Face à de graves questions, actuellement sans réponse en sciences, il n’hésite pas à s’engager ; il prend le risque d’une hypothèse personnelle et il explique pourquoi. Il sait qu’il sera critiqué, dit‐il, « mais les critiques feront évoluer les questions ». Jean Génermont nous livre, ici, une vision structurée de l’apparition et de l’installation progressive de la sexualité. Ainsi, les lecteurs non biologistes auront plaisir à découvrir l’origine de la sexualité, dans un monde déjà fourmillant d’espèces qui s’en sont passé, pendant 2,5 milliards d’années, grâce à une multiplication asexuée. Les lecteurs biologistes (particulièrement ceux de la génération de l’auteur) auront le plaisir de trouver un rangement heuristique dans le fatras (dont ils ont peut être un souvenir) des nombreux cas étudiés à l’Université, des cycles diversifiés « haplonte diplonte ». L’ordre créé par le choix éclairé des exemples rapportés par l’auteur, engendre une évidence, un sens : Ah le Chlamydomonas ! Ah le coprin ! Et les plantes vertes alors ? Bref ! On comprend ! Et dès lors on a envie de remonter vers le début du livre où sont les explications de base qu’on a sautées un peu rapidement, pensant qu’on pouvait s’en dispenser. Eh bien non ! Lisez, relisez ce que Génermont nous en dit, vu de haut et condensé, épuré de tout ce qu’il juge non essentiel pour la compréhension. Il voit et nous montre un fil conducteur de l’évolution des solutions de multiplication des êtres vivants, des procaryotes aux eucaryotes ; il y situe l’apparition de la fécondation et de son corollaire nécessaire, la réduction chromatique, en relation avec l’environnement. Il dégage ainsi la signification de la reproduction sexuée, son rôle sélectif dans l’évolution : fournir des formes de résistance et donc de diffusion, succès évolutif de la sélection des espèces qui l’ont acquise. De la page 292 à la page 300 sont abordés les questions de transferts génétiques horizontaux et leurs succès évolutifs, qu’ils soient anciens, historiques (la mitochondrie ou le chloroplaste) ou artificiels, récents (les OGM). Finalement, la question est posée à la page 296 : la recombinaison génétique est-elle aussi ancienne que la vie ? Et pour « tenter de répondre à cette question, je vais raisonner, non plus par inférence à partir des phénomènes actuels, mais en analysant succinctement, des plus anciennes au plus récentes, quelques unes des étapes qui, selon les spécialistes (R. Egel et al., 2011) de cette question, ont jalonné la Genèse du monde vivant sur une planète à l’origine purement minérale ». Et on découvre l’importance de l’acquisition de la phagocytose pour la suite de l’évolution par brassage génétique indépendant de la reproduction par fécondation et crossing over à la méiose ; ce dernier semble bien être un mécanisme hérité et intégré à partir de l’aptitude très ancienne à réaliser des recombinaisons entre molécules d’ADN, fait remarquer Jean Génermont, et elle apparaît comme condition sine qua non de l’émergence de la sexualité, donc comme « une préadaptation » au sens défini par Cuénot. À la page 300 apparaît donc dans la synthèse, la nécessité de redéfinir la sexualité ? « je considère la sexualité dans son état actuel comme un édifice de trois étages, résultat d’une édification en trois temps ». 1) celui des fondations, des prémices à sa genèse proprement dite. 2) l’installation très précoce et rapide des caractères fondamentaux permanents qui constituent son architecture. 3) le temps des finitions jusqu’à nos jours et devant se prolonger dans l’avenir, dans des modalités très diverses en liaison avec la diversification du domaine eucaryote. » De cette dernière partie, l’auteur abordera deux aspects qui lui paraissent les plus saillants, dit il : les colonisations de nouveaux habitats comme les adaptations au parasitisme et le problème de la rencontre entre gamètes aptes à participer ensemble à une fécondation, chez les animaux et les végétaux. Suivent alors 60 pages très divertissantes sur la sexualité, de la morue à l’éléphant en passant par les femelles croqueuses, chez les insectes ou les araignées, les mâles attentifs à la progéniture etc. sans omettre la très sérieuse question de la biologie sexuelle humaine (page 323), les stratégies sexuelles adaptées à la saisonnalité et l’incompatibilité sexuelle des gamètes des végétaux hermaphrodites etc. Dans son bilan (page 362), Jean Génermont estime devoir justifier les 60 pages consacrées à la diversité de cette 3e partie « le temps des finitions ». L’épilogue, (page 365) aborde les possibilités d’avenir de l’histoire de la sexualité. A l’évidence, pour l’auteur, la sexualité se maintiendra aussi longtemps qu’existeront des eucaryotes ; mais ces derniers sont ils éternels ? dit il ; « Là le raisonnement scientifique atteint ses limites pour faire place au moins pour une certaine part à des « intimes convictions » ». Et il nous livre les siennes, comme un testament.
À ce stade de la lecture, le lecteur ne peut s’empêcher d’avoir une immense reconnaissance pour Jean Génermont : le remercier d’avoir mis en branle tout son savoir encyclopédique, mobilisé sa capacité d’analyse de sa base de données en un raisonnement implacable, dont l’exigence est masquée par l’excellence de la pédagogie et la beauté du style. Merci de ce travail généreux pour mettre à la disposition du grand public autant de connaissances en les rendant abordables.
Denise Viale