Aspects mal connus ou ignorés de la biologie des Bryozoaires

Mémoire n°45 de la Société zoologique de France

Aspects mal connus ou ignorés de la biologie des Bryozoaires, d'Hondt (J.L.). Mémoire n°45 de la Société zoologique de France, 4e trimestre 2015.

Les Bryozoaires sont des Métazoaires triploblastiques coelomates microscopiques (de l'ordre de 0,5 mm), aquatiques (en majorité marins), fixés à un substrat (encroûtants ou dressés), coloniaux, dont chaque individu (zoïde ou zoécie) provient du bourgeonnement initial d'un individu fondateur (l'ancestrula, né d'une fécondation interne et du développement d'une larve nageuse qui se fixe à tout substrat : algue, coquille, rocher), puis du bourgeonnement répétitif pendant toute la vie de la colonie des individus nés de l'ancestrula. Cette reproduction asexuée (gemmiparité) permanente est une caractéristique fondamentale des Bryozoaires. Elle se fait à partir d'un territoire épidermique localisé près de l'orifice buccal des individus et transmis à tous leurs descendants. Elle contribue à l'accroissement de la colonie (zoarium) qui constitue donc un clone, ne dépassant généralement pas quelques centimètres. Les Bryozoaires possèdent un exosquelette chitineux, partiellement ou totalement calcifié, particulièrement intéressant pour les paléontologistes.

Pour le zoologiste non spécialiste de ce petit groupe (environ 5000 espèces vivantes), il présente un certain nombre de particularités originales, voire déconcertantes. En premier lieu l'origine du mésoderme est encore discutée et s'ils ne sont certainement pas des Protostomiens, ils ne sont pas non plus de « vrais » Deutérostomiens. Le coelome fait défaut chez la larve et ne se creuse par schizocoelie que pendant une métamorphose complexe, demeurant ensuite indivis (les Bryozoaires ne sont pas métamérisés). L'endoderme larvaire ne persiste chez l'adulte que dans quelques lignées phylogénétiques (le tractus digestif est donc en général totalement d'origine ectodermique) et son devenir est inconnu chez certaines d'entre elles. Dépourvus d'un axe nerveux longitudinal, ils ne sont ni des Hyponeuriens, ni des Epineuriens. Leur développement se caractérise par la dégénérescence plus ou moins précoce par apoptose de certaines catégories cellulaires avant (futur tube digestif), au début ( cellules épidermiques, nerveuses, sensorielles) ou en fin de métamorphose (cellules glandulaires d'adhérence au substrat) compensée par l'évolution préprogrammée d'autres cellules en fonction des lignées phylogénétiques et, dans le cas particulier des Cyclostomes, par un phénomène de polyembryonie. Il n'y a ni appareil circulatoire ; ni appareil respiratoire, ni appareil excréteur. Le polypide (partie viscérale d'une zoécie : tentacules, tractus digestif, centre nerveux, partie de la musculature) entre périodiquement en dégénérescence, puis, après un temps de latence, se régénère par bourgeonnement du groupe de cellules épidermiques localisées près de l'orifice buccal.

L'ouvrage de Jean-Loup d'Hondt (149 pages) édité à compte d'auteur par la Société zoologique de France dans sa série des Mémoires de la Société zoologique de France est dédié à ses collègues anciens et récents qui, chacun dans leur domaine, ont enrichi nos connaissances sur la biologie des Bryozoaires. Il est destiné à sensibiliser la communauté des biologistes à ce matériel qui n'a fait l'objet généralement que d'études descriptives, l'expérimentation étant limitée par la très petite taille de ces animaux. Il est composé d' articles indépendants.

Après avoir rappelé les caractères généraux des Bryozoaires, un premier article est consacré à différents aspects mal connus de leur développement et qui pourraient constituer des voies d'investigation prometteuse. Parmi ceux-ci citons le devenir individuel des blastomères, la morphogenèse et la différenciation du centre nerveux, les aspects hormonaux du déclenchement, du développement et de la dégénérescence polypidienne, du déterminisme et des modalités de la polyembryonie.

Le second article précise les conditions d'obtention des larves à partir des pontes et l'influence de l'environnement (photosensibilité, choix du substrat de fixation, bathymétrie, orientation et texture du substrat) sur l'émission larvaire et le taux de réussite de la métamorphose.

Les Bryozoaires étant majoritairement des organismes à exosquelette partiellement ou totalement calcifié, leur classification et les essais de reconstitution de l'évolution du groupe ont longtemps été fondés sur les caractères morphologiques de celui-ci. Mais qu'en est-il des formes à tégument exclusivement chitineux ? Si depuis quelques années quelques auteurs ont recouru à l'outil moléculaire pour tenter d'apporter de nouveaux caractères diagnostiques et phylogénétiques, il s'avère toutefois que les parties molles, actuellement négligées par la plupart des chercheurs (mais bien évidemment inutilisables pour ceux qui travaillent sur des spécimens de collection) apportent de multiples informations. C'est ce qu'envisage le troisième article. Chez la zoécie fonctionnelle peuvent être utilisés, entre autres, le nombre des tentacules, la morphologie du caecum digestif, la musculature, le mode d'incubation et de placentation, la coloration, le nombre des corps bruns (résidus solides des déchets du métabolisme ou de la dégénérescence polypidienne accumulés dans la loge). Chez la larve, les macules pigmentaires et la coloration, la nage, les tissus impliqués dans la fixation au substrat, les structures de résistance des formes dulcicoles peuvent aussi être utilisés.

S'il peut paraître paradoxal de consacrer un 4e article à la mobilité des Bryozoaires, organismes sessiles sans organes locomoteurs et fixés à un substrat, un très petit nombre d'espèces ont pourtant une colonie capable d'une certaine mobilité par rapport à ce substrat. Ce déplacement ne met généralement en œuvre aucun dispositif particulier et se fait par simple glissement sur des sécrétions de cellules glandulaires épidermiques. Mais exceptionnellement le genre Selenaria utilise un raffinement de spécialisations morpho-fonctionnelles inattendues de la part d'organismes aussi primitifs (par exemple : différenciation de cystides spécialisés, les vibraculaires, dont la mandibule considérablement allongée constitue un fouet oscillant).

Un cinquième article est consacré aux hétérozoécies, nom donné aux zoécies incomplètes, sans polypide ou à polypide incomplet incapable de gamétogenèse mais spécialisées dans une autre fonction. Les coenozoécies sont particulièrement dégradées, sans ouverture et sans muscles. Les stolons sont des troncs rampants faits de coenozoécies et émettant soit des zoécies, soit des stolons secondaires. Les rhizoïdes sont des coenozoécies ou des ensembles de coenozoécies généralement tubulaires assurant la fixation de la colonie au substrat. Enfin la formation des aviculaires (différenciant deux « mandibules » dont l'une mobile) encore mal connue, est discutée.

Un essai de reconstitution de l'évolution des Bryozoaires Eurystomes constitue l'avant-dernier article de l'ouvrage. Toutefois l'état encore trop incomplet de nos connaissances, en particulier sur le développement de ces animaux, interdit toute proposition d'une phylogénie sérieuse. Aussi l'auteur se limite-t-il à une reconstitution d'une succession de phases et de tendances évolutives bien différenciées séparées par les biais ou les lacunes des connaissances dans l'évolution du groupe, reconstitution qui modifie quelque peu celle qu'il avait proposée il y a quelques années.

Un dernier article réunit d'autres thèmes de recherche, en particulier celui du problème de la place des Bryozoaires dans la phylogénie animale. Sur la base de critères anatomiques, embryologiques et morphogénétiques, l'auteur propose une nouvelle théorie selon laquelle les Bryozoaires, ni Protostomiens ni Deutérostomiens, se situeraient sur une autre voie évolutive distincte et divergente des deux précédentes : ils pourraient constituer le groupe frère des Deutérostomiens, à moins qu'ils ne constituent une impasse évolutive. Les biologistes moléculaires se sont aussi penchés récemment sur ce problème. Mais leurs résultats sont contradictoires. Si une majorité fait des Bryozoaires des Protostomiens (ce que réfutent tous les biologistes non moléculaires sur des critères zoologiques et embryologiques pertinents), quelques uns en font des Deutérostomiens. Et d'Hondt en profite pour critiquer ces molécularistes qui s'appuient souvent, pour conforter leurs interprétations et hypothèses, sur des bases anatomiques et embryologiques incomplètes, voire erronées, d'animaux dont ils méconnaissent ou ignorent la biologie en ne consultant pas ou pas assez la bibliographie correspondante.

Qui mieux que J.L.d'Hondt, spécialiste français des Bryozoaires, pouvait apporter ses réflexions et proposer des interprétations nouvelles sur des sujets, non originaux, certes, sur ce petit groupe d'invertébrés, encore assez peu étudié et mal connu (pas plus de 250 spécialistes, y compris les paléontologistes) ? Que cet ouvrage sur un matériel biologique passionnant et original par nombre de ses particularités déroutantes pour le non spécialiste, suscite des vocations chez les jeunes chercheurs pour l'étudier par des techniques modernes de plus en plus sophistiquées.

André BEAUMONT

Pour acquérir l'ouvrage : https://societe-zoologique.fr/ouvrages-et-bulletins-thematiques